[The cars, colliding, crash into me...]
Comme prévu, ce soir j'ai failli mourir.
[The cars, colliding, crash into her...]
Cela fait longtemps que la terreur de l'accident de voiture - mieux, sa
certitude - me tourmente. Jamais elle ne m'a autant tourmenté que ce soir.
Tout était là, autour de moi, en attente de devenir. Exactement comme dans le synopsis d'un film catastrophe :
tous les éléments se regroupaient, me suivaient au moment où je décidai de quitter la station un peu avant 18h30. La lumière rasante, puis le noir complet au moment de l'arrivée sur la départementale qui relie Mont de Marsan et Aire sur l'Adour. La maladie, qui depuis le réveil, ne cessait de détériorer ma condition physique. Lorsque ça s'est produit, je pense que mon corps, aidé par la fonction vasodilatatrice de l'adrénaline, a dû monter au dessus de 41°, puisque j'ai perdu connaissance. La radio aussi, la radio qui ne cesse de grésiller, qui ne se laisse pas régler, qui me crache dessus en changeant brutalement de volume.
Je m'assis, tremblant de fièvre, les jambes coupées, la gorge nouée, le regard mi-clos, la poitrine compressée - le souffle court. J'y allais, comme ça, déjà proche d'un état moribond, j'y allais en attendant qu'il se produise.
[And there's stars, tonight...]
Plus je progressai sur cette heure et quart de trajet qui m'attendait pour assouvir l'insoutenable pulsion de sommeil, et l'abandon de mon corps qui me désorientait, plus je sentai que je me rapprochai de l'objectif - de la
rencontre. Ce sentiment devint si fort, si pressant que je réunis le peu de concentration qui était encore disponible pour appeler quelques-uns de mes amis, les biens-nommés : X., X. aussi qui ne répond toujours pas - besoin impérieux de parler pour ne pas assister au drame - puis X. qui me rappelerai quelques secondes plus tard, et enfin, X. Lui, qui a pour seule parole "C'est ça de trop boire, tu l'as bien cherché" - je reste aphone. Je me sens de plus en plus mal - une voix qui me raccrocherai à du concret, du solide - une portion de
reél. Mais non. La dernière voix qui me glisse à l'oreille, est rance : "C'est ça de trop boire, tu l'as bien cherché".
[We'll never be the stars, again...]
Alors mon regard se fixa sur le bas côté, pour éviter d'être ébloui par la circulation en sens inverse. Deux voies. Nuit complète. 40° de fièvre. Je cherchai à enclencher une cassette, ne supportant plus le brouhaha de la radio grésillante. L'inaudible sonnerie de mon téléphone retentit. X. me rappelle. J'évoque ma vexation, me tristesse, je lui signifie à quel point je suis égaré, à encore près de 45 minutes de la fin. Elle m'entend, elle reçoit mes mots. J'aborde un village, et je raccroche violemment : le changement de vitesse vient de me faire faire un écart sur la voie opposée. Je me sens mieux d'avoir parlé - et immédiatement je me sens mal à nouveau. Des mots se perdent, à la mesure de ma concentration. La cassettte qui diffuse une sombre mélodie dans la nuit de mon carcan de fer se fait nostalgique. Une influx dans mon corps humidifie mes yeux. Je songe à ma promesse : "Si je me rends compte que je ne tiens pas, je te promets que je m'arrête pour dormir un petit peu." Je repense à X. et à X, aux deux dernières voix.
[And my life is a dream...]
J'alternai entre les feux de route et les phares, comme toujours sur ces petites deux voies trop étroites. Je sortis de B... seul, plein feux. Une touche de volume supplémentaire. A quelques mètres de moi, je discernai un cycliste - à moins qu'il ne se fût agi d'une femme - que je contournai, en prenant soin d'enclencher mon clignotant. Je me rabats sagement. Personne en face. Plein phares. Puis soudain un éclaire jaune dans mon oeil droit. Je contourne l'obstacle -
faux, je donne un coup de volant sur la droite. Percussion sur ma gauche, en pleine portière. Coup d'oeil affolé au compteur : un peu plus de 100 km/h -
faux : 117 exactement. Je pile, la carcasse perdue tourne. Mon visage me brûle, quelque chose coule sur ma joue. Tout va bien, je me remets dans le sens de circulation et je ralentis sur le bas côté -
faux, je me retrouve face à une paire de feux blancs pendant que la voiture est encore en mouvement désordonné, tournant sur l'étroite petite nationale. Je ne sais plus quoi faire, mes refléxes sont absurdes. Mon genou droit rentre violemment dans le volant, je ne sens plus un instant le bas de ma jambe. Un autre choc, à nouveau sur ma gauche, des klaxons et des feux. La voiture s'immobilse sur une portion de bas côté, à quelques dizaines de centimètres d'un ravin. Je perds connaissance.
VRAIJ'étais paralysé. Mon coeur, un rythme qui aurait dû fendre ma fragile cage thoracique. Je ne sais pas si je suis plus immobilisé par la peur, ou par l'occurrence.
Je hurle des larmes qui refroidissent mes joues en feu, je hurle et quelqu'un frappe à la portière du conducteur. Je hurle.
[But I'll keep on pretending...]
Je finis par me garer, dans la grange qui fait face à la maison. Je sors, titubant. Une seule idée en tête : appeler mes parents, pour leur dire que le trajet s'est passé sans encombres, malgré la fièvre. Au téléphone, ma voix ne sait pas articuler correctement une phrase ; les tremblements la saccadent trop. Je frémis de chacun de mes membres. Ma température doit atteindre des niveaux insoupçonnés. Il est déjà tard - le trajet a été
plus long que prévu. Ils s'inquiètent de ma voix, mais le pic de fièvre explique tout. Une petite croute dans la tête, au-dessus de l'oreille. Je passe dans la salle d'eau -
ça va monsieur, vous allez bien ? ouvrez la porte vite, ouvrez la porte mon ami appelle la police ouvrez la porte monsieur, ça va hey monsieur répondez-moi, monsieur ! - toute la gauche de mon visage a saigné, une bavure qui caresse mes pomettes. Je tremble. Parfois des sanglots montent. Je m'assied, quand j'essaye de me redresser, je tombe au sol, accroché à l'acoudoir du fauteil dans un mouvement grotesque. Blanc, puis Noir. Puis vite de la lumière à nouveau. Je souffle. J'essaye de me calmer. Je pleure, énormément. J'ai une furieuse envie d'appeler, d'entendre une voix, puis plus rien.
MAIS NONLa fièvre descend et mon visage me lance. Mes mains tremblent encore un peu. Je vais me coucher.
Une seule phrase est diffusée en boucle entre mes deux oreilles. Je n'ai jamais été aussi près de la mort.
Et je ne l'avais jamais autant ardemment vue venir.
Avec le silence de la fièvre tombante, des lignes de ce texte sont venues. Elles avaient besoin d'être maintenant, immédiatement.
Aurais-je été arrêté par la police, aurais-je été inculpé pour avoir conduit malade, aurais-je à mon tour subit l'incarcération pour un moment de cette vie - la mienne - qui m'a échappé ? Aurais-je été reconnu coupable ?Elles avaient besoin de concentrer, de figer une sourde haine de l'altérité, et d'éructer le dégoût similaire de mon corps.
Vous ne lirez pas ce texte, en entier, par paresse. Merci de le faire, merci de n'être rien et merci de haïr autrui, tout aussi sûrement que vous vous aimez vous-mêmePlus jamais un autre mot ne sortira de mon esprit sur ce moment.
Acta est Fabula
Sept jours de silence, un cycle de solitude pour réapprivoiser un espace neuf -
l'observer, le scruter - et le vider de quelques spectres encombrants.
[...]
Le soleil est réapparu, ce matin. Il fait fondre les derniers résidus de neige, sur l'herbe, dans quelques recoins où le froid persistant se terre encore. Par la fenêtre du salon, je me suis arrêté tôt pour regarder ruisseler les tuiles de l'étable, au fond, derrière le pigeonnier. Plus tard, j'ai déposé la bouilloire blanche, le cul noirci par les langues de flammes, près de la fenêtre de la cuisine. Sur le murmure de l'eau frémissante, je me suis arrêté pour détailler les cristaux de la petite mare, qui commençaient à se découper en larges plaques. Plus tard, assis derrière l'immense toile à carreaux bleus, il ne s'est rien passé. J'écoutais des voix anonymes, d'une oreille distraite, en observant les effets du soleil sur des vitres grossières, et au loin, le tracé irrégulier d'un avion.
[...]
Un chat noir et blanc passe sur les galets - sur la voix de T. Il interrompt sa course, aussi surpris de me voir que moi. Il s'enfuit vers le bassin, en laissant quelques traces de pas sur les dernières nappes blanches.
[...]
Des bruits de moteur ; deux intrus ont pénétré le jardin. Ils sortent une longue échelle et s'agrippent à un arbre. Leurs tronçonneuses hurlent jusqu'à l'intérieur de la maison. J'ai toujours eu horreur qu'on abatte des arbres - pire, qu'on les sectionne, qu'on les mutile, qu'on les démembre. Je sors pour saluer les deux hommes. Un branche tombe à quelques centimètres de moi ; la neige qui la couvrait m'éclabousse le visage.
[...]
Puisqu'il ne sert à rien de disserter sur l'absence d'intériorité, ma vie s'épanouit dans la contemplation du dehors.